Tasmanie 2 : sept jours magiques sur l’Overland Track

Hut sur l'Overland Track

Sourire dans les nuages de l’Overland Track

Peut-être parce qu’on m’avait présenté la Tasmanie comme étant à la fois la petite soeur de la Nouvelle-Zélande et cette perle rare de l’Australie, en arrivant sur l’Overland Track ce jour-là, j’étais sereine, comme en terrain connu. Il me semblait que j’arrivais là au dernier chapitre de deux ans de vagabondages d’Auckland à Melbourne… Même si je savais que d’autres expériences m’attendaient sur les routes, j’avais si peu prévu la suite que l’Overland Track était cette étape charnière, pleine de sens puisqu’elle arrivait « à point » dans mon parcours. Deux ans plus tôt, je n’avais jamais mis les pieds sur l’hémisphère sud, je n’avais jamais conduit à gauche, je n’avais jamais mangé des tartines peanut butter / confiture ou miel, je n’avais jamais dit « sweet as bro » ou « no worries mate », et je n’avais encore moins imaginé que bientôt je saurais monter une tente toute seule, me servir d’un petit réchaud à gaz de camping, parcourir des kilomètres à pied sous les climats les plus divers, faire du stop et même traire des vaches

flèche Overland Track

Deux ans plus tard, j’avais cette envie de marcher sans réseau sur mon téléphone ni confort moderne (électricité, douche, lit…), portant un sac du poids record de 17 kg avec de quoi vivre en autonomie sur sept jours et six nuits. J’avais, au plus, déjà randonné sur quatre jours et trois nuits lors du Milford Track  ou du Tongariro Nothern Circuit, et allais donc doubler la durée de l’expérience. J’avais déjà rencontré la grêle méchante sur le Kepler Track, les nuits gelées sous la tente dans les Blue Mountains, la pluie, la neige, le trop chaud et le trop froid, les craintes de glisser, de ne pas réussir à redescendre, la nécessité de faire demi tour avant le sommet, ou au contraire de devoir continuer face à l’obstacle, la frustration de se retrouver dans le nuage à l’endroit du célèbre point de vue. Mais j’avais aussi découvert la joie d’avoir persévéré, les richesses cachées de ces expériences, à travers les paysages insoupçonnés, les rencontres inoubliables, les sensations du bonheur d’un thé chaud dans la fraîcheur d’une hut ou du calme envoûtant d’un monde sans le bruit des machins et des machines, au rythme de mes pas, l’un après l’autre, l’autre après l’un. J’étais prête pour la semaine qui arrivait.

Petit oiseau, Tasmanie

C’est pour tout cela qu’en ce premier jour de randonnée, le 15 février 2018, je n’éprouvais pas de détresse ni de déception à l’idée de « louper » Cradle Mountain. J’avançais de nuage en nuage, à travers un paysage de carte postale qui m’avait fait rêver depuis des semaines et dont je n’apercevais pas même le contour. Le premier jour de l’Overland Track était le plus réputé, celui qui faisait les couvertures, avec le relief plein de romantisme de Cradle Mountain s’élevant au-dessus du Lac Dove, ses falaises escarpées appelant à grimper à son assaut pour approcher le ciel. Le ciel était descendu à nous, et Cradle Mountain boudait. C’était comme ça, et cela n’avait pas à être contagieux. Alors je laissai la montagne se cacher et je me concentrai sur ce qui voulait bien s’offrir à moi. Je travaillais l’équilibre de mes pas entre les pierres du chemin transformé en ruisseau, sous le poids nouveau d’un sac organisé avec soin pour la semaine, et dans les bourrasques glaciales surprenantes tant quand elles surgissaient que quand elles s’arrêtaient soudainement. Je crois que je gouttai le sol par deux fois, une moyenne peu surprenante me connaissant… Après une pause à mi chemin à la minuscule « Kitchen Hut » qui n’était absolument pas une cuisine et où je pu brièvement faire connaissance avec d’autres marcheurs grelottants, j’arrivais en quatre heures à la première véritable hut, à Waterfalls Valley, où les premiers thés fumants des uns et des autres faisaient des formes mystérieuses au-dessus des mains serrant les tasses.

Forêt dans les nuages

Je savais quoi faire. Se changer, mettre les habits chauds et secs avant tout, installer son couchage dans la hut puisqu’il y avait la possibilité d’y dormir (plutôt que sous la tente, sous un temps pareil…), puis faire chauffer de l’eau et entamer la conversation avec mes nouveaux compagnons de fortune. Ensuite, manger chaud, boire chaud, mais pas trop pour ne pas avoir à sortir dix fois dans le froid afin de rejoindre les toilettes évidemment à quelques dizaines de mètres de la hut, écrire mon journal, lire mon livre, dormir emmitouflée, se lever, recommencer. Je ne sais comment vraiment expliquer cela, mais cette sensation de familiarité me réjouissait, de ne plus en être à ma première randonnée « overnight » (de plusieurs jours), de savoir qu’il n’y avait pas à s’en faire, que le mauvais temps importait peu puisque les bons souvenirs étaient là à nous attendre au détour du chemin, que le froid la nuit se vaincrait lors du petit-déjeuner, que la pluie ne serait pas éternelle, que les gens autour de moi deviendraient bientôt de nouveaux copains.

J’avais raison (yes ! ). Je le savais, d’instinct, et n’en fus que plus comblée en faisant ce constat à la fin de ces sept jours.

Sur l'Overland Track

90 kilomètres, un par un, tranquillement

L’Overland Track en lui-même fait 82 km (ou 65 pour ceux qui choisissent de prendre un ferry pour traverser le Lac Saint Clair plutôt que de marcher tout au long de sa rive ouest), mais il est possible de le rallonger considérablement puisque des bouts de randonnée optionnels s’offrent presque chaque jour. Pendant les trois premiers jours, ces « side trips » ne furent pas même envisageables, puisqu’il s’agissait principalement de grimper des sommets, ce qui s’avérait dangereux et sans grand intérêt par un temps maussade. Le rythme parut donc lent, et j’arrivais aux huts très tôt après quelques heures de marches peu jalonnées de pauses photographiques ou de bronzette, plutôt préoccupée que j’étais à desserrer et resserrer ma capuche et à éviter vaguement les flaques d’eau et de boue.

Forêts mystérieuses

Pourtant on pouvait déjà remarquer que tout allait en s’améliorant. Le vent diminua le deuxième jour et tomba le troisième, la pluie se fit plus fine aussi, et les paysages un peu plus enclins à se dévoiler. Et honnêtement, je trouvais de quoi m’émerveiller, entre ces troncs d’arbres d’eucalyptus mouillés et luisants qui ressemblaient presque à de l’argile peint, l’écho des gouttes s’échappant des feuilles et s’étouffant dans le lichen, les lacs ténébreux se dévoilant dans la brume, le côté cinématographique de ces forêts sombres et mystérieuses abritant mille fantômes curieux.  Ce climat semblait faire descendre un calme immense sur ces premiers jours de ma randonnée, et j’entrais dans ce silence avec une sorte de joie respectueuse, acceptant la pluie sans laquelle on ne façonnerait pas de telles paysages…

Eucalyptus sur l'Overland Track

Et puis vint l’aube du jour quatre. Entre temps j’avais fait connaissance avec quelques autres chanceux partis comme moi le 15 février. Presque tous Français, mais (tout de même) très sympathiques. On avait trituré la carte par tous ses bouts en faisant des hypothèses météorologiques sur la suite de notre aventure, malgré ce ranger qui nous avait prévenu qu’un autre jour de pluie nous attendait. Enfin, la météo se trompait dans le bon sens. Nous marchâmes sous un temps certes gris mais sec avec Kirsty et Antoine en ce quatrième jour, et une heure et demie plus tard nous étions à l’une des jonctions les plus attendues de toute la randonnée : celle qui menait au « side trip » du Mont Ossa, point culminant de la Tasmanie à 1617 mètres. Le sommet dansait entre les nuages et il ne tenait qu’à nous de prendre le pari sur les éclaircies qui allaient suivre ou non. Ça se tente ? Oui, allons-y.

Mont Ossa

Rien que de laisser le gros sac à l’intersection pour ne partir qu’avec le petit prévu exprès pour l’occasion me rendit euphorique. Quel sentiment de liberté. Nous grimpâmes pendant une heure et demie, à un bon rythme et avec bonne humeur, émerveillés par les paysages qui s’offraient à nous au fur et à mesure. L’ascension se corsait un peu et il fallait passer quelques passages de grosses pierres à « escalader » puis rejoindre le nuage sur les dernières dizaines de mètres. Juste le niveau que j’aime, assez intéressant pour avoir un peu d’adrénaline mais ne pas avoir d’angoisses quelconques. Tout en haut, nous devions passer entre des colones de roches d’une hauteur impressionnante, comme des orgues géantes perchées là-haut, ce qui semblait être le style de la plupart des montagnes du coin. Nous n’étions pas peu fiers de faire partie des rares specimens du jour à avoir tenté l’expérience et l’avoir menée jusqu’au bout, et nous prîmes le temps de redescendre en multipliant les photos et le plaisir de ces belles vues.

Vues du Mont Ossa

La prochaine hut nous vit nous endormir encore plus tôt et c’est de bon matin que la cinquième journée fut entamée, avec, enfin, les premiers vrais rayons de soleil réconfortants. Nous voulions en profiter pour nous écarter de l’Overland Track et rejoindre une vallée voisine aux paysages prometteurs. Mais pour ma part, il fallut renoncer, mon genou gauche décidant qu’il en avait assez vu ce jour-là… J’étais déçue de ne pas poursuivre avec mes nouveaux copains de route, mais je ne pouvais forcer sur cette douleur qui s’était intensifiée à chaque fois que j’enjambais une racine. Repos. Et ce n’était pas si mal, considérant le charme du lieu où était installée la hut du jour, et la chaleur du soleil qui m’encouragea à enfin monter ma tente et me poser pour lire des heures entières en attendant que mes affaires sèchent tranquillement.

Coucher de soleil, Overland Track

Je ne repartis que vers midi le lendemain, et le chemin s’annonçant à présent principalement plat jusqu’à la fin me soulagea, ma douleur s’estompant gentiment. Il faisait chaud à présent (sauf les nuits) et les oiseaux s’époumonaient. Je guettais l’arrivée des serpents avec une certaine curiosité un peu anxieuse, et vit deux bébés traverser le chemin sans beaucoup m’effrayer. Je commençais à ne plus y penser quand soudain j’entendis remuer furtivement dans les hautes herbes à deux mètres devant moi, sur la gauche du chemin. Je m’arrêtai et attendis, raide. Cela bougea encore. Il n’y a pas de doute, c’était un gros serpent, que je pouvais à peine deviner, et ça ne pouvait être rien d’autre… Un autre animal se serait enfuit ou envolé. Il me faisait connaître sa présence et me guettait. Incertaine, j’avançai doucement, sur mes gardes, puis accélérai en passant à côté de lui et ne revins surtout pas en arrière. Mais au fond de moi, j’étais un peu déçue de ne pas avoir aperçu les beaux yeux de ce menaçant gardien des lieux. Au lieu de rester à la dernière hut ce soir-là, je décidai de pousser deux heures plus loin ou une toute petite hut bordait le lac. Cela permettait de couper le trajet du dernier jour, et de camper sur la plage. Olivier, un autre des compagnons de l’Overland Track, vint avec moi.

Overland Track au soleil

Nous passâmes une soirée mémorable à Echo Point. Une jetée élégante s’avançait dans le lac, lui même entouré des reliefs majestueux des falaises de la Tasmanie. Le ciel était clair et la petite plage où nous installâmes nos tentes des plus charmantes. Je décidais de plonger dans le lac, aussi froid fut-il, et ce fut un réel moment de plaisir, après ces six jours de marche… Nous comprîmes vite que nous avions de petites amies pour la nuit, des petites souris bien curieuses du contenu de nos sacs. Elles parvinrent à grignoter un morceau de celui d’Olivier qui avait oublié un tout petit sac de nourriture dans une poche, alors même que nous avions tout accroché à des cordes en hauteur… A la nuit tombée, j’en rencontrai plusieurs, peu effrayées par notre présence, guettant furtivement le moment où nous baisserions la garde. J’imagine que toute seule, je n’aurais pas été si sereine. Mais puisque nous étions deux pour contrer les souris, je pris tout cela avec le sourire, plutôt amusée par ces petites bouilles curieuses qui, il faut bien le rappeler, étaient chez elles bien plus que nous…

Lac Saint Clair

Après une nuit bien fraîche sous nos tentes (je gardai même le bonnet pour dormir), notre dernier réveil sur l’Overland Track dans une aube rouge reflétée dans le lac fut un pur moment de bonheur. Cela s’appelait certainement finir en beauté, sauf que je n’avais pas du tout envie que ce soit la fin. Je marchai les onze derniers kilomètres en me faisant à cette idée qu’il allait falloir rejoindre le bruit des voitures et rallumer mon téléphone. Je me promis d’y aller doucement et de m’offrir deux jours de repos pour revenir à la surface de la vie moderne.

Echo Point

Vivement la prochaine randonnée…

L’Overland Track, facile ou difficile ? Y aller seul(e) ?

Je sais que beaucoup se posent la question. A mes yeux, le niveau global de la randonnée est assez facile si on ne suit que le chemin principal et qu’on s’arrête à chaque hut. Il n’y a aucun danger à y aller seul, du moins tant qu’il ne neige pas et à condition d’être bien équipé pour le froid et la pluie, d’avoir assez d’eau et de nourriture et une trousse de secours. En sachant qu’en saison haute il y a au moins une cinquantaine de personnes qui démarrent cette randonnée chaque jour, et qu’il y a donc peu de chance de se retrouver réellement seul en cas de soucis (groupes privés et marcheurs autonomes confondus). Par contre, les side trips sont à considérer selon les conditions météorologiques et son propre état physique, ce qui fait tout l’intérêt de cette randonnée pouvant satisfaire, je pense, des gens de tous les horizons et de tous les niveaux. Il est aussi possible de rester aussi longtemps qu’on le souhaite sur le track, c’est à dire de passer des huts si l’on veut aller plus vite, ou au contraire de rester plusieurs nuits au même endroit, etc. En tous les cas, c’est une expérience formidable et je pense que si l’envie est là au départ et qu’un minimum de préparation a été effectuée, on ne peut que se construire des souvenirs magnifiques…

J’ai un bel album photographique de cette semaine mémorable, alors je vous laisse le découvrir en suivant ce lien. 

Overland Track

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